Émergence en tant qu'artiste
1959-1963

Durant cette période formatrice de la carrière de Morrisseau, il rencontre des personnes alliées importantes qui l’accompagnent pour faire de ses rêves artistiques une réalité :

 

 

1959

Morrisseau reçoit du mentorat d’Esther et de Joseph Weinstein alors qu’il vit à l’île McKenzie et travaille dans une mine d’or à Cochenour, en Ontario. 

 

1960

Bob Sheppard, un agent de police local, présente Morrisseau à Selwyn Dewdney, un anthropologue, artiste et spécialiste de pictogrammes. Ce dernier offre du mentorat à Morrisseau et l’accompagne dans la publication de l’ouvrage Legends of My People (1965). Dewdney met aussi Morrisseau en contact avec une galerie d’art pour la première fois, la Hughes Gallery, à London, en Ontario.  

Naissance de Victoria Kakegamic, la première fille de Norval et Harriet.

 

1961

Rencontre avec le sénateur Allister Grosart, qui aide Morrisseau à obtenir du financement et à créer des liens dans le milieu artistique. Morrisseau lui offre un tableau de Michipichou.

1962

Morrisseau, qui habite à Beardmore, rencontre Jack Pollock en juillet 1962 alors que ce dernier visite sa ville pour donner un atelier d’art. L’artiste Susan Ross propose à Pollock de rencontrer Morrisseau.

La première exposition de Morrisseau ouvre à la Pollock Gallery de Toronto et l’ensemble de ses 31 tableaux se vendent. Morrisseau fait fureur dans la presse et se voit désormais considéré comme un artiste professionnel.

 

1963

Exposition à la Hart House de l’Université de Toronto et à la Galerie Agnes Laford à Montréal.

Les Weinstein quittent Red Lake avec plus d’une cinquantaine d’œuvres de Morrisseau, dont plusieurs figureront dans la collection d’art du Musée canadien de l’histoire. Morrisseau confie au Dr Weinstein le soin de donner une de ses œuvres à Pablo Picasso, ce que Weinstein fait à l’été 1963.  

 Morrisseau et sa famille passent une période prolongée dans la communauté d’appartenance de Harriet Kakegamic, à Sandy Lake, en Ontario.

Morrisseau vend environ une cinquantaine d’œuvres au Dr Joseph et à Esther Weinstein à Cochenour, en Ontario. 

Les Weinstein, avec leur formation en art, soutiennent Morrisseau lorsqu’il commence à se percevoir comme un artiste. Le couple partage avec Morrisseau leurs nombreux ouvrages sur l’art de leur bibliothèque. 

Jospeph Weinstein décrit les impressions de sa femme, Esther, alors qu’elle aperçoit un tableau sur bouleau d’écorce de Morrisseau au magasin général McDougall’s à l’île McKenzie :

Elle était étonnée… En revanche, elle ne doute pas un seul instant que ce magnifique tableau est le fruit d’une grande créativité et d’un grand talent artistique.  

Christine Penner-Polle, Norval Morrisseau and the Woodland Artists: The Red Lake Years 1959–1980, Red Lake Cultural Centre, Red Lake, 2008, p. 26.

Norval Morrisseau, Man Changing into Thunderbird (Two Birds) | Untitled (Man Transforming into Thunderbird), 1958.

Ce tableau illustre les techniques Morrisseau en début de carrière : il recourt aux lignes noires et aux cercles fragmentés pour rendre un récit.

Si cette interprétation de Man Changing into Thunderbird comprend des êtres-tonnerre émettant des lignes, Morrisseau ne relie pas les cercles fragmentés et les figures avec de telles lignes. Cette œuvre sur écorce de bouleau explore également la transformation d’homme en Oiseau-Tonnerre vingt ans avant le célèbre tableau Man Changing into Thunderbird.

Ce tableau du formidable Michipichou (1961) témoigne de l’importance de l’être spirituel dont la puissance se déploie ici par des lignes ondulées qui émanent de ce demi-dieu aquatique.

Morrisseau offre ce tableau au sénateur Pete Robertson, un allié de la première heure qui soutient l’artiste en début de carrière. À l’instar du sénateur Allistair Grossart, Robertson obtient des fonds pour encourager ses projets artistiques.

Norval Morrisseau, Mishipeshoo, 1961.

Norval Morrisseau, Thunderbird with Ancestral Motifs, c. 1961.

Le tableau Thunderbird with Ancestral Motifs de 1961 de Morrisseau relate des récits spirituels et relationnels des mondes du ciel et de l’eau au moyen de racines d’épinette ou d’écorce de bouleau (wiigwaas). Si Morrisseau connaît bien l’usage sacré des rouleaux d’écorce de bouleau et emploie des techniques traditionnelles, ces éléments cérémoniels lui servent d’expression artistique.

Morrisseau coud deux morceaux d’écorce de bouleau avec des racines d’épinette, qu’il encadre avec des racines d’épinette reliées à des branches. Il crée alors des incisions avec des images d’aki et nebi (la terre et l’eau) et les peint avec de la gouache. L’artiste transmet son propre savoir sur les êtres spirituels, au moment même où il élabore son langage artistique unique.

Exposition à la Pollock Gallery

1962

En juillet 1962, Jack Pollock, marchand d’art et éducateur, se rend à Beardmore en Ontario pour donner un atelier d’art. L’artiste Susan Ross, une amie de Morrisseau de Thunder Bay, lui conseille d’aller à la rencontre de Norval Morrisseau pendant son séjour dans la communauté. Morrisseau se présente avec plusieurs de ses œuvres, ce qui incite Pollock à lui demander d’en voir davantage.

Le lendemain, lorsque Pollock se rend chez Morrisseau, il raconte :

Il m’a alors montré quinze ou vingt tableaux, certains sur du papier aquarelle blanc, d’autres sur de l’écorce de bouleau ou encore sur du papier kraft naturel épais… À ce moment-là, j’ai compris que Morrisseau était un artiste visionnaire et j’ai décidé d’exposer ces tableaux dans ma galerie à Toronto.

Art of Norval Morrisseau, 1979, p. 18.

Photographie, 1962. Jack Pollock (au centre) et Norval Morrisseau (à droite) avec une femme non identifiée. Photo avec l'aimable autorisation du Musée des beaux-arts de l'Ontario, Pollock Fond.

Signature de Morrisseau au recto de l'invitation à son exposition à la galerie Pollock, septembre 1962.

L’exposition de Morrisseau à la Pollock Gallery à Toronto est la toute première fois qu’un artiste des Premières Nations présente ses œuvres dans une galerie d’art.

Invitation à l'exposition à la Pollock Gallery, 1962, Toronto, ON.

Carton d’invitation signé par Morrisseau à l’intention de Jack Pollock.

Vidéo de l'exposition à guichets fermés de la galerie Pollock, 1962.

L’exposition de 1962 constitue un événement médiatique national, d’une part à cause de l’identité raciale de l’artiste, et d’autre part parce qu’il crée de l’art contemporain. Certaines œuvres de la première exposition de 1962 sont encensées par les critiques de l’époque à la fois en tant qu’œuvres primitives et en tant qu’œuvres modernes.    

L’exposition de tableaux où tout se vend amène le Time Magazine à écrire :  

L’imposant artiste primitiviste Morrisseau (de 6 pieds et 2 pouces) a commencé à peindre il y a seulement trois ans, après un rêve où il a reçu un message de consigner les symboles et les mythes de ses compatriotes ojibway… Peu d’expositions dans l’histoire de l’art canadien ont provoqué un aussi grand émoi que celle de Morrisseau.

Time Magazine, 28 septembre 1962.

Norval Morrisseau, The Moose Dream Legend, 1962.

Cette œuvre a été achetée dès le vernissage de l’exposition à la Pollock Gallery en 1962. 

Norval Morrisseau, Untitled (Bear), 1962.

L’œuvre, qui témoigne des liens sacrés entre ours et poissons, a été acquise lors de l’exposition de 1962 à la Pollock Gallery.

Ce tableau figure parmi deux œuvres consacrées aux ours et aux poissons dans l’exposition de 1962 à la Pollock Gallery. La pièce illustre à merveille les premières expressions du vocabulaire narratif de Morrisseau.  

Morrisseau peint l’intérieur des corps de l’ours et du poisson en blanc pour marquer leur caractère sacré. Une ligne relie le poisson à l’ours, de leurs bouches à leurs derrières, de façon à illustrer leur rapport sacré. Morrisseau ajoute un motif de cercle ou de soleil fragmenté sur le dos de l’ours. De plus, il ajoute une série de courtes lignes sur l’ours et le poisson pour évoquer leur énergie spirituelle.

Norval Morrisseau, Bear and Lake Trout, 1962.

Norval Morrisseau, Two Fish, 1962.

Cette toile, de 1962, figure parmi les premières œuvres présentées à Jack Pollock par Morrisseau qui ont mené à son exposition à la Pollock Gallery.

Photographie provenant de The Art of Norval Morrisseau, 1979, p. 16
 

Norval Morrisseau montrant Two Fish à Jack Pollock à Beardmore, en Ontario, en juillet 1962. Photographie tirée de Art of Norval Morrisseau, 1979, p. 16.

Norval Morrisseau, Sacred Snake of Good and Evil, 1962.

Ce tableau s’est vendu à la Pollock Gallery en 1962. 

Morrisseau peint en blanc le serpent cornu à deux têtes pour représenter la puissance de cet esprit sacré du monde aquatique. Cinq cercles fragmentés de faisceaux d’énergie entourent le serpent, ce qui transmet l’équilibre entre le bien et le mal. Un des cercles, en bleu, se voit contrebalancer par les autres en rouge et en jaune. Morrisseau fait appel à des couleurs spirituelles comme le blanc, le bleu, le rouge et le jaune dans cette œuvre. Les lignes et les segmentations intérieures traduisent aussi le caractère spirituel de cet être.

En 1960, Morrisseau rencontre Selwyn Dewdney, artiste et éducateur passionné par le Bouclier canadien. Dewdney et Morrisseau se lient d’amitié et Dewdney dirige l’édition de l’ouvrage Legends of My People, publié en 1965. La correspondance entre ces deux amis au début des années 1960 donne un aperçu des difficultés et des succès de Morrisseau comme jeune artiste.

En 1963, Morrisseau et sa famille passent une période prolongée dans la communauté d’appartenance de Harriet Kakegamic, à Sandy Lake, en Ontario.

À cette époque, Morrisseau écrit plusieurs lettres à Selwyn Dewdney pour lui faire part de ses idées sur son art.

Norval Morrisseau, Dewdney Archival Letter, 25 avril 1961.

Cochenour Ont.
18 Sept 1963 - 

Mon cher ami Selwyn,  

Eh bien, mon ami, je m’excuse de ne pas avoir pu t’écrire plus tôt – tu comprendras à mon exposition à Toronto qui devait commencer le 25 septembre 1963 (mais qui est repoussée d’une semaine, donc à la fin septembre). J’amène ma famille à Toronto et j’espère que nous pourrons te voir, ainsi qu’Irene et tes garçons. Je te rendrai visite à mon tour, ok. Tu connais l’avocat et sa femme – on leur a rendu visite à London, en Ontario. Je me demande s’il a trouvé un tableau pour aller sur le manteau de sa cheminée. Je t’envoie un tableau fait sur écorce que tu peux leur montrer si jamais ils veulent l’acheter – je demande cent cinquante dollars, il vaut environ 250 $ encadré.

J’espère qu’ils comprennent que j’ai besoin de cet argent pour acheter des vêtements pour ma famille en vue de notre séjour à Toronto –   

On se voit à Toronto et on décidera alors si on se rend à London à partir de là, ok.

Ton ami pour toujours

Cordialement

Norval

Photo de Jack Pollock admirant des œuvres de Morrisseau, créées en préparation du livre de Morrisseau de 1965, Legends of My People.

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